- Mar 14, 2025
Awareness et consciousness
- Fanny GAYRAL
- Psychologie, Personnages, Arc trajectoriel, Gestalt-thérapie
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Les animaux sentent, les personnes savent.
C'est le titre d'un article théorique de Gestalt-thérapie.
Signé des psychologues Dan Bloom et Jean-Marie Robine.
Ce texte parle de la notion de conscience.
Sous un angle intéressant pour réfléchir au parcours des personnages de nos romans.
C'est le petit chemin que je vous propose d'emprunter aujourd'hui, dans ce nouvel épisode du Lab, ma newsletter hebdomadaire.
Vous le savez probablement, il y a dans tout (bon) roman deux lignes directrices.
L'intrigue, tout d'abord.
Qui correspond aux péripéties, aux événements de l'histoire.
Et qui est dotée d'un objectif externe.
Si je prends pour exemple le roman Les furtifs, d'Alain Damasio, dont je vous ai parlé dans une précédente newsletter, l'objectif externe du personnage principal, Lorca, serait : « Retrouver sa fille disparue » (avec des fluctuations au fil du livre).
La deuxième ligne, c'est l'arc trajectoriel du personnage principal.
Sa trajectoire d'évolution psychologique.
Appelée parfois "sous-intrigue".
Qui se déploie vers un objectif interne.
Dans Les furtifs, l'objectif interne de Lorca pourrait être :
Comprendre profondément que tout change.
Accepter cette impermanence, la fluidité, la métamorphose comme principes de vie.
Afin de se défaire des carcans imposés (sociaux, identitaires...).
(Un vaste programme ! 😉).
La caractéristique première d'un arc de personnage, c'est que ce n'est pas un processus linéaire.
Mais un parcours chaotique.
Avec des pas en avant et des pas en arrière.
Si l'on y réfléchit, c'est logique.
C'est valable pour chacun(e) d'entre nous :
On ne se défait pas facilement des schémas d'adaptation qui nous sont familiers.
Nos vieilles habitudes, devenues délétères ne se rendent pas sans résistance.
Cela passe par des conflits, au sens large du terme, des situations génératrices d’anxiété, d’angoisse, de frustration.
Des prises de conscience progressive.
Le mot "conscience", ici, est important.
En Gestalt-thérapie, on a pour habitude de regarder notre flux de conscience sous deux axes.
Le premier, c'est la conscience immédiate, ou awareness.
Les auteurs de l'article que j’évoquais en introduction la définissent ainsi :
L'awareness, c’est notre sens de la situation.
Le fond sensible de notre expérience.
C'est aussi notre sens les uns des autres, quand nous sommes en présence d'autres personnes.
On parle parfois d’intercorporalité.
Lorsque vous entrez dans une pièce, vous allez d'emblée ressentir, capter, vivre des choses.
Dont certaines sont encore implicites.
En parallèle, ce que vous percevez et sentez va s'organiser.
Via la conscience dite réflexive ou consciousness.
Le deuxième axe de votre flux de conscience.
Vous allez penser, réfléchir, comprendre, savoir, agir...
En tant que thérapeutes, nous travaillons beaucoup sur ce continuum entre conscience immédiate et conscience réflexive.
Nous cherchons notamment à « développer notre awareness ».
Ça pourrait sembler un peu ésotérique, dit ainsi, mais c'est très sérieux.
On pourrait dire que nous cherchons à accroître notre capacité à sentir ce qui se passe, ce qui circule, ce qui se vit au cours d’une séance de thérapie.
À ne pas nommer, définir, comprendre trop vite.
Et j'en reviens ici aux personnages de votre roman.
Car il peut être intéressant de réfléchir à la dynamique awareness-consciousness de votre personnage principal au fil du récit.
En le dotant au départ de difficultés à vivre cette dynamique de manière fluide.
Je peux prendre l'exemple de Camille, l'héroïne de mon roman Plus que toute autre chose.
Dont l'objectif interne est d'apprendre à se sentir en sécurité avec elle-même.
Plutôt que sans cesse compter sur la présence d'une personne rassurante.
En début de roman, Camille n'est pas très attentive à ses sensations et émotions.
Elle prend des décisions de manière automatique.
Elle fait ce qu'elle a toujours fait, sans se poser de questions.
Peu à peu, elle va prendre conscience de ce qu'elle éprouve.
Identifier et comprendre ses difficultés à faire le deuil de son père.
Accroître son awareness, son sens de la situation.
Sentir, puis réfléchir à ce qui se joue pour elle.
Et devenir ainsi capable de poser de véritables choix.
L'idée centrale, c'est que lorsque la consciousness est trop séparée de l'awareness, on a tendance à développer un contact avec le monde plus rigide.
On sent, mais on ne comprend pas.
Ou l’on réfléchit sans sentir.
On ne prend pas appui sur notre expérience vécue pour agir, décider.
On ne tire pas les leçons de ce qui nous arrive.
On est tendu(e), aux aguets, là où l'on serait juste prudent(e) si l'on sentait vraiment ce qui se passe.
On accepte des choses qu'au fond, on aurait envie de refuser.
La consciousness sans awareness, c’est une réflexion déconnectée de la réalité, de la situation, de nos ressentis et de nos besoins.
Et l’awareness sans consciousness, c’est comme conduire une voiture en pensant à autre chose, de manière automatique.
Vivre comme un robot.
Sortir de ces deux ornières, c'est un travail indispensable pour notre personnage.
Et je me dis qu’au fond, c’est l'essence de tout arc trajectoriel de personnage.
Que je pourrais résumer en :
Développer sa capacité à sentir et réfléchir, afin de vraiment choisir.
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Pour aller plus loin, vous pouvez regarder ma vidéo gratuite sur les arcs trajectoriels de personnages :