- Apr 11, 2025
Vos personnages font-ils comme tout le monde ?
- Fanny GAYRAL
- Originalité, Psychologie, Personnages
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Que feriez-vous si vous aviez un voisin psychanalyste ?
Pas grand-chose, probablement.
Vous lui diriez bonjour en le croisant le matin.
Vous lui tiendriez la porte en sortant de l'immeuble.
Vous réceptionneriez un colis en son absence.
Vous ne resteriez pas l'œil collé au judas à guetter ses horaires de sortie à la boulangerie.
De manière à prendre l'ascenseur avec lui, l'air de rien, pour réfléchir silencieusement à votre vie à ses côtés.
Comme le fait Camille, l'héroïne de mon roman "Plus que toute autre chose".
Qui a entamé, à l'insu de son voisin, une "psychanalyse d'ascenseur".
Lorsque Camille agit ainsi, elle ne fait pas comme tout le monde.
Et c'est le propre des personnages de roman.
C'est l'un des signes qu'ils sont bien caractérisés.
Singuliers.
Pensez-y : si vous réfléchissez aux actions et réactions de vos protagonistes de romans préférés, vous constaterez que leurs actions sont souvent un peu "hors-norme".
Sans sombrer dans la caricature pour autant.
L'équilibre est subtil, et important à garder en tête lorsque vous écrivez.
Je m’explique :
En dramaturgie, l'art de créer des personnages et de les doter de manières personnelles d'agir et de réagir se nomme la caractérisation.
Et pour ce faire, rédiger une liste de caractéristiques sur le papier ne suffit pas.
Il est timide ?
Elle est courageuse ?
Très bien, mais comment ?
Il existe mille façons d’être timide, d’être courageuse.
C’est dans l’action – plus particulièrement au coeur d'un conflit narratif – qu’un personnage se révèle véritablement.
Pour montrer la personnalité de votre protagoniste, il est donc utile et nécessaire de le placer dans une situation où il a un désir contrecarré par des obstacles.
Ce qui crée notre fameux conflit narratif.
Le mot "conflit" étant, dans cette expression, à entendre au sens large du terme :
toutes les situations qui génèrent des émotions négatives (peur, anxiété, regrets, frustration...).
Si je reprends l'exemple de mon héroïne Camille, ci-dessus :
Elle a des soucis dans sa vie, et désire un espace de réflexion et de parole.
Mais elle est timide et n'ose pas s'adresser à un tiers (sa timidité est un obstacle interne).
Elle réagit à cette situation de conflit narratif en révélant certains de ses traits de personnalité : l'audace et la créativité.
Avec ces séances improvisées de psychanalyse d'ascenseur.
Pour autant, les désirs, les obstacles et les conflits ne suffisent pas, à eux seuls, à caractériser un personnage.
Dans sa situation, Camille pourrait tout aussi bien renoncer à tout espace de réflexion.
Elle pourrait se contenter de prendre un rendez-vous classique avec un psychothérapeute.
Ou évoquer ses soucis autour d'un thé avec une amie.
Mais ce serait beaucoup moins palpitant.
Ce serait juste normal.
Or, en dramaturgie, la normalité est synonyme d'absence de caractérisation.
Un personnage qui se borne en permanence à faire comme tout le monde n'est pas caractérisé.
Et cela génère un récit ennuyeux.
Le scénariste Yves Lavandier dit à ce sujet :
"Ce qui caractérise un individu est précisément ce qui le différencie des autres, de la majorité des autres.
Si tout le monde était pareillement avare, on ne dirait plus de quelqu’un qu’il est avare puisqu’il serait comme nous tous.
On ne s'en rendrait même pas compte."
Il ajoute que si, chaque minute, pour chaque personnage, le lectorat peut se dire : "à sa place, j'aurais fait la même chose", c'est que nous faisons fausse route.
Que nous avons fait l'impasse sur les traits de caractère.
Bien sûr, il faut faire attention, à l'inverse, de ne pas tomber dans la caricature.
En faire trop.
Ou enfermer à l'excès un personnage dans un trait de caractère dominant et rigide.
Réduire sa personne à une seule dimension.
Il deviendrait alors stéréotypé et trop prévisible.
Déséquilibré.
En manque de nuances, de contradictions ou d'évolution.
Et servirait alors plutôt de fonction ou de code narratif que de figure vivante
Là aussi, le dosage est subtil.
Je suis convaincue que votre dosage à vous ne sera jamais le même que celui d'un(e) autre auteur(e).
En fonction du genre dans lequel vous écrivez, de l'atmosphère que vous souhaitez obtenir.
L'alchimie vient avec le bon sens, l'intuition.
J’ai constaté, pour ma part, que cette limite entre singularité et caricature était fluctuante en fonction du texte que j’écrivais.
Il m’est arrivé d’aller assez loin dans les comportements loufoques de certains personnages.
Avec, par exemple, une héroïne qui se jette en pleine nuit du haut d’une piste noire pour aller retrouver l’homme qu’elle aime, alors qu’elle ne sait pas skier, dans « Sapins blancs et moutons noirs » (nouvelle parue chez J’ai Lu).
Ou de pousser un peu fortement la caricature.
Avec un personnage de cardiologue hyper autoritaire dans « Le début des haricots ».
Une directrice d’agence bancaire imbue d’elle-même et despotique dans « Le millième jour de la marmotte ».
Dans « Psy, jeûne et randonnée », par contre, je suis restée plus à distance des excès en matière de traits de caractère.
Parce que l’ambiance du récit ne s’y prêtait pas.
Vous le voyez : le curseur est entre vos mains.
Et c’est un équilibre passionnant à chercher !
Voilà pour aujourd’hui.
Côté auteure, je serai en dédicace au Festival du Livre de Paris ce dimanche 13 avril de 16h à 19h sur le stand des éditions Eyrolles. N’hésitez pas à passer me dire un mot si vous êtes dans les parages !
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