• Apr 25, 2025

Exploitez le chaos

  • Fanny GAYRAL
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Construction et déconstruction : 4 étapes intéressantes pour améliorer le profil psychologique de vos personnages.

« J'ai voulu montrer ce que peut être un chemin de déconstruction des conditionnements patriarcaux. »

Voilà ce que je réponds lorsqu'on me questionne sur mon nouveau roman, La journée de l'amour et de la lessive.

La déconstruction.

Un terme important, quand on est écrivain.

Parce qu'un roman raconte toujours un moment charnière.

Au cours duquel quelque chose se déconstruit.

Pour faire place à une situation nouvelle.


Mais que déconstruit-on, exactement ?

Faut-il y aller manu militari, à grand renfort d'explosifs narratifs ?

Devons-nous enlever quelque chose à notre personnage ?

Et comment montrer au mieux les phénomènes de reconstruction à l’œuvre chez notre protagoniste ?

Aujourd'hui, dans ce nouvel épisode de ma newsletter Le Lab, je vous propose une petite excursion du côté de la psychothérapie.

Nous allons explorer 4 étapes intéressantes pour améliorer le profil psychologique de vos personnages.


En Gestalt-thérapie, l'expression « construction-déconstruction » est très souvent employée.

J'ai même assisté à un séminaire de formation portant cet intitulé, quand j'étais étudiante-thérapeute.

L'une des idées de fond, c'est que des phases de déconstruction de nos croyances, de nos modes de fonctionnement sont nécessaires pour pouvoir avancer.

Pour apprendre à s'ajuster de manière créative dans les situations.

Plutôt que réutiliser sans cesse de vieux schémas obsolètes qui ne nous rendent plus service.


Dans son livre sur la thérapie, Le changement social commence à deux, le psychologue Jean-Marie Robine se pose les questions suivantes :

« Est-ce qu'on peut déconstruire pour l'autre, ou est-ce qu'on déconstruit l'autre ? »

« Est-ce qu'on peut changer l'autre ? »

Sa réponse est simple : la marge de manœuvre d'un(e) thérapeute est circonscrite.

Il/elle peut seulement contribuer à déconstruire les modes périmés de contact et de relation de la personne.

Les systèmes de représentations qui la font souffrir.

Les choix qui n'en sont pas.

Les choix fondés sur des croyances délétères, jamais remises en question.

Je trouve que partir sur une base similaire peut être intéressant quand on est écrivain, en suivant 4 étapes.


1ère étape :  Fabriquez des amalgames.

Jean-Marie Robine évoque la notion « d'amalgame », empruntée au sociologue Max Pagès.

Les amalgames, ce sont « des représentations qui collent ensemble un événement, un affect, une représentation, des sensations corporelles, un mouvement d'action... »

« Des collages qui vont être solidifiés avec le temps ».

En d'autres termes : une vérité personnelle, née d'un tas d'impressions entremêlées.

Une vision du monde, devenue évidence.

Qui influence nos actions et nos choix au quotidien, plus ou moins à notre insu.


Prenons un petit exemple, pour que ce soit plus concret.

Je pourrais imaginer le personnage de roman suivant :

Élise, 36 ans, avocate brillante, en grande difficulté dans ses relations amoureuses.

Et lui créer un amalgame intitulé : « Aimer, c’est perdre sa liberté. »

Pour ce faire, je vais réfléchir aux éléments que je peux scotcher ensemble, en reprenant la liste de JM Robine.

*Des événements : par exemple, de violentes disputes itératives entre ses parents, ponctuées par les cris de sa mère : « À cause de toi, j’ai tout abandonné ! Ma carrière, mes rêves, ma liberté ! »

*Des affects : terreur, sentiment d'impuissance, culpabilité (les enfants se sentent parfois coupables des brouilles de leurs parents).

*Une représentation : « L’amour est une cage et un renoncement ».

*Des sensations corporelles : tachycardie, nœud dans la gorge.

*Un mouvement, une action : vouloir disparaître, se faire toute petite, se cacher dans le placard.


Je vais ensuite créer un passé – ce que les scénaristes appellent une backstory – pour solidifier cet amalgame :

Une méfiance systématique envers les garçons à l’adolescence.

Une relation naissante à l’université, sabotée en se plongeant dans le travail.

Des liaisons éphémères avec des hommes indisponibles ou toxiques, à l’âge adulte.


Me voilà donc naturellement en présence d'une situation initiale de roman.

Avec un amalgame qui influence les choix de vie de mon personnage : carrière hyper contrôlée, solitude affective, rejet de tout engagement par peur de la dépendance, souffrance tue.


2ème étape : Casser les amalgames.

Pour Jean-Marie Robine, l’« une des opérations de la psychothérapie consiste à faire exploser ces amalgames ».

Il précise que cela ne signifie pas pour autant qu'il faut y aller à l'explosif.

Ni à œuvrer dans le registre de la violence ou de l'attaque des systèmes de défense du patient.

Pour lui, le simple fait de mettre au travail (interpeller, expliciter, déplier...) un certain nombre d'évidences est un levier décisif dans le processus de déconstruction.

Ça, c'est pour la thérapie.

Côté roman, il me semble que vous disposez de plus de latitude.

Vous pouvez taper fort avec votre élément perturbateur.

Cet événement qui bouleverse le monde initial de votre personnage, en début de roman.

Les explosifs sont autorisés, si nécessaire. 😉

(Au sens propre ou (surtout) métaphorique du terme).

Mais vous pouvez aussi garder en tête l'idée que la déconstruction des amalgames est un travail d'orfèvre.

Qui peut se faire par petites touches.

Au fil d'obstacles sérieux, accumulés en travers du chemin de votre protagoniste.



3ème étape : Exploiter le chaos et l'instant présent.

JM Robine explique ensuite qu'une phase de confusion est quasi systématique.

Une fois l’amalgame fissuré, la personne va se sentir déstabilisée.

Aux prises avec le vague, le confus, le chaos.

Parce que certaines de ses représentations habituelles viennent de se déliter.

Des points d'ancrage familiers sont perdus de vue.

C'est, bien sûr, angoissant.

Mais c'est aussi « un moment où précisément, étant donné qu'on ne peut s'accrocher au déjà-connu, la vigilance du thérapeute peut amener le patient à ouvrir ses yeux sur le maintenant ».

Parce que l'instant présent est le seul ‘endroit’ dans lequel on peut créer des nouveautés, où il y a de l'inconnu.


Dans un roman, c'est la même chose.

L'intrigue, les événements de l'histoire ébranlent les fondations du protagoniste.

Ses repères vacillent, ses certitudes se fissurent.

La tension narrative monte.

Et c'est dans ce chaos apparent, cet espace d'incertitude que de nouvelles possibilités peuvent émerger.



4ème étape : Reconstruire l'expérience.

Pour JM Robine, si l'on déconstruit les significations figées et les représentations obsolètes, c'est autre chose que l'on reconstruit.

On reconstruit l'expérience.

Pourquoi ?

Parce que notre but n'est pas de doter le/la patient(e) d'un nouveau « stock de significations immobilisées ».

Mais au contraire d'ouvrir l'accès à une lecture du réel souple, mouvante.

En s’exerçant à mettre plus de conscience sur notre expérience, nos ressentis dans le moment.

Cela permet de donner du sens à ce qui nous arrive de manière fluide.

En reconsidérant chaque fois que nécessaire nos interprétations et réseaux de significations.


Et là aussi, le parallèle avec les romans est frappant.

Car c'est en traversant des expériences inédites que votre personnage peut se transformer, comprendre ce dont il est capable.

On peut d'ailleurs constater – et l'auteur le souligne – que construction et déconstruction sont des opérations simultanées.

En vivant des expériences inédites, on déconstruit en même temps des schémas obsolètes.

Par exemple, dans mon roman Le millième jour de la marmotte, lorsque mon héroïne Éléonore sort de ses gonds pour la première fois avec son père :

*elle vit une expérience inédite, pourvoyeuse de capacités nouvelles

Et elle déconstruit du même coup :

*son habitude d'encaisser la misogynie ordinaire de sa famille sans rien dire,

*sa croyance en son incapacité à affirmer sa valeur.



Voilà pour ces quelques pistes, glanées à l’occasion du travail sur mon prochain roman et de mes lectures de thérapeutes.

Pistes qui, je l'espère, pourront également contribuer à nourrir vos propres réflexions…

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