• Mar 18, 2025

Comment construire un réseau de personnages ?

C’est contre-intuitif mais très utile

En ce moment, je travaille sur mon prochain roman (le huitième).

J’ai déjà bien cerné mes personnages principaux.

Et je suis en pleine réflexion au sujet de mes personnages secondaires.

Aujourd’hui, j’ai envie de partager avec vous les principes de bases que j’utilise pour les concevoir. Ils sont parfois un peu contre-intuitifs. 😊


Le premier principe, c’est la notion de réseau.

« Construisez vos personnages en réseau », voilà une phrase que l’on entend régulièrement en matière de conseils d’écriture.

La formule paraît plutôt séduisante, mais elle reste souvent très floue.

Ce qu’en dit par exemple John Truby dans son livre « L’anatomie du scénario » est, à mon sens, assez nébuleux.


Pour ma part – et pour que ce soit plus clair –, je relie cette notion de réseau de personnages à un concept de psychothérapie.

La perspective de champ.

J’ai déjà eu l’occasion d’en parler dans de précédentes newsletters : en Gestalt-thérapie, on prend pour postulat de départ l’idée que le contact est la première des réalités.

Que les individus sont inséparables de leur environnement.

On va donc travailler en séance au niveau de ce qu’on appelle « la frontière-contact » entre la personne et son environnement.

Une rupture radicale avec les modes de pensée habituels en psychologie, centrés sur la psyché des personnes, « enfermée » dans leur organisme.


Je peux prendre un exemple pour commencer à faire un lien avec vos personnages de roman :

Imaginons qu’un patient me dise : « je ne suis pas intelligent ».

En perspective de champ, je vais penser en premier lieu : « moins intelligent que qui ? ».

Car « intelligent », « rapide », « lent », « faible », « fort », ça n’a pas de sens pour les théoriciens du paradigme de champ.

Ce qui a du sens, c’est : « plus rapide que... », « plus lent que... » ou « moins fort que... ».

Nous sommes toujours immergés dans le contact avec notre environnement, avec les autres.



En tant qu’auteur(e), quand on commence à penser de la sorte, on change notre manière de rédiger des fiches de personnage.

Par exemple, plutôt qu’écrire : « elle a tendance à se replier sur elle-même », on peut se demander :

Vis-à-vis de qui se replie-t-elle ?

Pour quelles raisons ?

Est-elle moins introvertie avec certaines personnes ?

Y a-t-il un contraste avec un autre personnage, très extraverti ?

On commence dès lors à tisser des liens entre nos personnages, à bâtir notre fameux réseau.


C’est exactement de cette façon que je réfléchis aux rôles de mes personnages secondaires.

Plutôt que me demander : sont-ils agonistes ou antagonistes ?

Je précise : De qui ou de quoi sont-ils agonistes ou antagonistes ?

Un antagoniste ce n’est pas juste « un méchant », isolé du monde.

Il se définit par ses interactions.

C’est un personnage qui met des bâtons dans les roues de votre protagoniste.

Et pas n’importe où.

Ces bâtons entravent avant tout l’arc trajectoriel du héros ou de l’héroïne.

La trajectoire d’évolution psychologique du protagoniste.

Voilà un autre pilier essentiel pour construire vos personnages secondaires.


Je vous donne un exemple :

Dans ma nouvelle Vers l’océan et au-delà, publiée chez J’ai Lu, le personnage principal, Audrey, est une jeune femme très matérialiste, dont les parents gèrent un grand magasin Bazar discount.

Au début de l’histoire, elle part effectuer une randonnée à vélo, équipée d’une remorque remplie de matériel et de gadgets en plastique.

Elle s’y voit contrainte de côtoyer Aurélien, un jeune homme minimaliste, militant Zéro Déchet.

Sur le plan de l’intrigue, des événements du récit, tout oppose ces deux personnages.

Pour autant – et même si ces deux personnages vont beaucoup se chamailler au départ – Aurélien n’est pas antagoniste mais agoniste.

Car il va aider Audrey à cheminer vers son besoin profond.

Apprendre à se détacher des biens matériels et à savourer le moment présent.


De la même marnière, un parent doté des meilleures intentions du monde peut être un agoniste terrible pour son enfant.

L’enfer est parfois pavé de bonnes intentions, comme le dit l’expression consacrée.


Dans le même esprit, pour concevoir mes personnages secondaires, je pars toujours des situations, et non de l’individu.

En adoptant une logique de partie d’échecs.

Quand vous écrivez votre roman, vous allez bâtir un conflit narratif principal, et des conflits narratifs secondaires.

C’est-à-dire des situations dans lesquelles un personnage a un désir ou un objectif, contrecarré par des obstacles, générant des émotions désagréables.

Votre protagoniste est aux prises avec un conflit narratif, donc, et va être ballotté sur un versant ou sur un autre par les autres personnages ou par les circonstances.


Partant de cette base, vous pouvez vous poser les questions suivantes :

À quoi ce personnage secondaire va-t-il me servir ?

De quelle manière va-t-il alimenter, accroître ou apaiser le conflit ?

Quels pions vais-je déplacer sur l’échiquier à travers lui, son corps, ses pensées, ses paroles ?

Comment aimerais-je équilibrer (ou pas) les forces en présence ?

Vous le voyez : on part ici de la situation, des relations, avant de descendre vers l’individu lui-même.

C’est assez contre-intuitif, car on a souvent tendance à faire le chemin inverse, avec nos fiches-personnages.

On bâtit un individu sur le papier, un peu comme s’il était isolé du monde.

Et on le place ensuite dans une situation.


La dernière chose que je garde en tête à propos de mes personnages secondaires, c’est la notion de caricature.

Voilà une préoccupation répandue chez les romancier(e)s.

« J’ai peur que ce personnage soit trop caricatural. »

Mon mantra à moi, en la matière, c’est :

Sois caricaturale, mais pas trop.

Ok, cela ne vous avance peut-être pas beaucoup, à ce stade. 😉


Allons un peu plus loin :

Ce qui sous-tend ce mantra, c’est d’abord ce qu’en dit la dramaturgie : on n’écrit pas des histoires pour mettre en scène des personnages qui font comme tout le monde.

Qui font des choses attendues.

Ce que tout un chacun ferait en pareille situation.

Il y a donc nécessairement une dose de « hors-norme » dans leurs choix, leurs actions.

Des traits un peu grossis.

Qui flirtent parfois avec la caricature.

Ce n’est pas péjoratif, au contraire.

Une personnalité marquée donne au lectorat la possibilité de bien cerner le personnage.

Quand nous lisons, nous aimons beaucoup reconnaître des patterns.

La meilleure amie généreuse et joyeuse.

Le vieux voisin acariâtre.

D’ailleurs, la caricature peut aussi s’entendre dans le sens d’un archétype (ou presque).

Domaine puissant en termes de suggestion.


Pour autant, il est important que votre personnage soit également complexe et nuancé.

D’où le « pas trop » de mon mantra.

En évitant de les réduire à une seule caractéristique, une seule fonction, ou en les faisant évoluer au fil de l’histoire, parfois de manière inattendue (le vieux voisin acariâtre qui se révèle généreux), on les rend plus intéressants et attachants.


Voilà pour les quelques idées qui m’occupent l’esprit en ce moment et qui, j’espère, pourront venir nourrir votre propre processus créatif.


Pour aller plus loin, vous pouvez regarder ma vidéo gratuite sur les arcs trajectoriels de personnages :

0 comments

Sign upor login to leave a comment