- Jul 25, 2025
Ce que les scénaristes savent...
- Fanny GAYRAL
- 0 comments
Ce que les scénaristes savent... et que tous les écrivains gagneraient à connaître
Parmi mes sources d'inspiration, les manuels de scénaristes figurent en bonne place.
Qu'ils soient français ou (surtout) américains (certains livres anglophones non traduits sont de vraies pépites).
Et ce n'est pas parce que j'ai prévu d'écrire un scénario.
Ni pour plaquer un canevas de blockbuster américain sur l'un de mes romans.
Mais c'est simplement parce que j'y trouve des idées remarquables en matière de maniement du suspense et de la tension narrative.
Deux éléments qui figuraient parmi mes points faibles à mes débuts.
Les scénaristes sont souvent moins timorés, moins nuancés que les écrivains lorsqu'ils donnent des conseils.
Ils ont des avis tranchés.
Des principes bien définis.
Et des réflexes parfois méconnus des romancier(e)s, alors qu'ils sont tout à fait intéressants à exploiter pour écrire un roman.
Aujourd'hui j'aimerais partager avec vous 5 concepts de scénaristes que tous les écrivains gagneraient à connaître.
Et plus que les connaître, d'ailleurs, il s'agit de les rendre "sous-corticaux", comme on dit en médecine, c'est-à-dire d'en faire des automatismes.
Réflexe #1 : Les scénaristes pensent en termes de scènes.
Un film, c’est une succession de scènes.
Chacune d'entre elles est définie par une unité d'action, de temps et de lieu.
Et possède une fonction.
Faire avancer l’histoire, faire évoluer une relation, montrer une facette de la psychologie d'un personnage.
Réfléchir aux scènes, une à une, revient à regarder l'histoire en tant que suite d'étapes, à la décomposer en sous-objectifs, enjeux intermédiaires et conflits narratifs locaux.
En littérature, on oublie parfois cette structuration primordiale.
On pense en chapitres.
Ce qui peut nous faire perdre de vue le mouvement de l'histoire, sa tension vers l'avant.
Ce n'est pas purement spéculatif.
C'est très concret.
Car ce qui se joue là, c'est l'impact émotionnel du récit sur votre lectorat.
Le scénariste Karl Iglésias explique à ce sujet qu'une scène est « une mini-histoire. Cela signifie qu'elle doit être structurée comme une histoire, avec un début, un milieu et une fin clairs, une question dramatique, une tension croissante et un point culminant qui doit conduire le lecteur à la scène suivante. »
Réflexe #2 : Les scénaristes font des ellipses.
Jamais vous ne verrez un personnage de série ou de film prendre une douche entière à l’écran.
Se faire deux shampoings, laisser poser dix minutes son masque capillaire au beurre de karité et terminer par deux rinçages, eau chaude puis eau fraîche.
À moins que ce ne soit utile à l'histoire, bien sûr.
Les scénaristes coupent.
Ils font la chasse aux ventres mous.
Et vous avez le droit, vous aussi - c'est même fortement recommandé - de ne pas vous attarder sur ce qui n'a pas d'importance.
Je me souviens qu'à mes débuts, lorsque je voulais raconter la journée d'un personnage, certains passages me paraissaient fastidieux à écrire.
Parce que, sans m'en rendre compte, je cherchais à meubler, pour conserver une certaine linéarité temporelle dans le récit, et par peur que des interruptions gênent le lectorat.
Avec le temps, j'ai compris que c'était plutôt l'inverse.
Le fait de meubler ne préserve pas le rythme, cela le casse.
J'ai appris à abréger.
Des ellipses concises peuvent être tout à fait bienvenues.
Réflexe #3 : Les scénaristes sont obnubilés par le début et la fin des scènes
Voilà un élément qu'ils ne perdent jamais de vue.
Ils se posent systématiquement la question du bon moment pour commencer.
Et se souviennent de sortir lorsque la tension dramatique est à son maximum, en prenant bien garde de ne rien résoudre et en laissant les conflits narratifs en suspens.
L'adage que vous lirez chez tous les scénaristes, c'est :
« Entrez tard et sortez tôt. »
Là aussi – et même s'il ne s'agit pas d'établir des règles absolues, évidemment, tout est toujours à adapter en fonction des circonstances et de votre vision – il peut être très intéressant d'intégrer ce réflexe à votre boîte à outils d'écrivain.
Réflexe #4 : Les scénaristes n'ont pas peur de maltraiter (beaucoup) leurs personnages.
Alors même qu'ils les aiment sincèrement.
Pour les écrivains, il me semble que c'est souvent plus difficile.
Je n'ai fait aucune étude randomisée en double aveugle pour étayer mon hypothèse 😅, mais je me dis que c'est parce que nous cultivons un lien plus intime avec nos personnages.
Nous disposons d’un accès sans limites à leur intériorité.
Nous écrivons seul(e) et longtemps, là où le travail scénaristique est en général plus bref et collaboratif.
Notre écriture est le seul vecteur d’émotion dans le récit – ce qui peut être bouleversant pour un(e) auteur(e) – là où un scénariste sait que la « charge émotionnelle » n’est pas entièrement entre ses mains, qu’elle passe par la musique, le montage, le jeu des acteurs, la réalisation...
Cela nous conduit parfois à modérer, un peu inconsciemment, les écueils que nous posons sur leur chemin.
Yves Lavandier dit à propos des auteur(e)s qui refusent d'être cruels avec leur personnage principal :
« Ils ne réalisent pas que le meilleur moyen de faire partager au spectateur l’amour et l’intérêt qu’ils éprouvent pour leurs protagonistes est précisément de ne pas les ménager, de se moquer d’eux (dans le cas d’une comédie), de les frapper quand ils sont à terre. »
Ceci, tout en les aimant profondément et en les comprenant dans le même temps, pour ne pas sombrer dans un sadisme gratuit, qui créerait un malaise chez le lectorat.
Réflexe #5 : Les scénaristes font pire.
Une constante chez tous les scénaristes, c'est aussi cette question récurrente au fil de l'écriture : « Comment puis-je faire pire ? »
« Comment aggraver les choses ? »
C'est l'idée de poser des obstacles suffisamment conséquents en travers du chemin de notre personnage.
De manière à faire croître la tension dramatique.
Cela rejoint d'ailleurs notre point précédent.
En matière de scénario, on dit souvent que les obstacles doivent sembler insurmontables, infranchissables, tout en laissant une toute petite porte de sortie (car s'il n'y a aucun espoir, on n'a plus de raison de poursuivre la lecture).
Michael Schiffer dit par exemple :
« Si une section est très plate, l'une des choses qu'un écrivain peut se demander est : "C'est trop facile pour eux, qu'est-ce qui pourrait arriver pour rendre cela absolument difficile, douloureux, angoissant, impossible ? ».
Comme je le dis souvent, l’idée n’est pas d’appliquer ces principes à la lettre.
Mais plutôt de vous les approprier.
De voir ce qui, en eux, peut vous être utile à vous.
Être pertinent pour votre roman.
Et vous aider à améliorer votre manière de raconter votre histoire, en embarquant votre lectorat.
Et pour aller plus loin, vous pouvez regarder ma vidéo gratuite sur les bonnes idées de roman :