• Oct 3, 2025

Écrivez comme un(e) psy : Urgence et intensité

La traversée de l'intensité dans votre roman

Bonjour,

Et bienvenue dans ce nouvel épisode du Lab, ma newsletter sur l'écriture.


Aujourd'hui, je vous propose de commencer par imaginer une situation :

Celle d'une personne ayant grandi aux côtés d'un parent colérique et maltraitant.

Au fil de son enfance, cette personne a appris à guetter tout indice avant-coureur de tempête.

En restant constamment à l'affût.

Elle a acquis l'habitude d'être attentive aux microsignes, aux petits remous émotionnels de l'atmosphère.

Une hypervigilance très utile, à l'époque.

Mais qui, l'âge adulte venu, devient tout à coup pesante.

Au travail, avec ses proches, et même en vacances, cette personne ne se sent jamais vraiment détendue.

Comme si quelque chose risquait à tout moment de s'abattre sur elle.

Elle se sent en alerte permanente.

Et cela lui gâche la vie.


Le tableau que je viens de vous décrire, c'est ce qu'on appelle en Gestalt-thérapie une « situation d'urgence chronique à basse intensité ».

Un état marqué par une perpétuelle tension de fond.

Un inconfort persistant, qui ne trouve pas d'issue.

Ce genre de problématique est un motif de consultation très fréquent en psychothérapie.

Le patient ou la patiente arrive parce qu'il ou elle se sent enfermé(e) dans un schéma répétitif, des boucles familières et pesantes.

Et tout cela ne tombe pas du ciel.

Ces motifs sont, la plupart du temps, des héritages de situations du passé douloureuses ou traumatiques.

Des moments d'urgence aiguë et de forte intensité émotionnelle, qui ont nécessité un ajustement rapide, avec « les moyens du bord » de l'époque, pour se protéger, se préserver, voire survivre.

Avec le temps, ces modes de fonctionnement se sont pérennisés.

C’est typiquement ce que la psychanalyse nomme « l’état névrotique » : une adaptation ancienne – un mode de protection qui avait du sens à l’époque d’un trauma ou d’une difficulté – se muant en schéma répétitif, rigide, inadapté au présent.


Je peux faire ici un premier parallèle avec votre roman.

Parce que la situation initiale d'un récit est souvent imprégnée de cette notion d'urgence chronique à basse intensité chez le protagoniste.

Du moins lorsque le livre comporte un arc trajectoriel de personnage – une trajectoire d'évolution psychologique – chose que je vous recommande vivement.


Dans Confessions d'une accro au shopping de Sophie Kinsella, par exemple, l’héroïne Becky est prisonnière, au début du roman, d’un schéma compulsif : dépenser pour combler son insécurité et se donner l’illusion d’exister socialement.

Même problème de situation d'urgence chronique à basse intensité chez Harry Potter, élevé chez les Dursley dans un climat d’humiliation et de rejet permanent.

Il ne connaît pas la sécurité affective et n'a pas l'habitude d'écouter ses besoins.

Dans mon roman, La journée de l'amour et de la lessive, j'ai construit une situation de ce type chez mon héroïne Jessica.

Cette dernière rumine en silence des idées suicidaires, ficelée à son habitude de ne jamais rien dire pour contrer l'autorité malsaine et la maltraitance de son père.



En Gestalt-thérapie, ce concept est l'un des axes possibles de travail.

Je dis possible, car les axes potentiels sont nombreux.

Lorsque le lien thérapeutique est solide entre le thérapeute et la personne, on peut parfois travailler à soutenir l'émergence d'une situation d'urgence aiguë de haute intensité.

Sur le fond de cette situation d'urgence chronique à basse intensité.

Afin d'explorer de nouvelles manières de réagir ou d'agir.


Un exemple pour que ce soit plus clair :

Imaginons que la personne décrite dans mon exemple initial poursuive une thérapie avec une thérapeute.

Il se pourrait qu'un jour, au cours d'une séance, un événement déclenche une forte anxiété chez cette personne.

L'exploration d'un souvenir lesté d'une lourde charge émotionnelle.

Une détonation au-dehors dans la rue.

Un froncement de sourcil de la thérapeute.

Ou tout autre élément réactivant soudain des mémoires de son enfance maltraitée.

Et générant une forte angoisse, donc une situation d'urgence aigüe à haute intensité.


Sa thérapeute peut alors choisir d'aller du côté de l'apaisement, si elle sent que ce qui se passe est trop lourd, inassimilable pour la personne.

Mais elle peut aussi – sous réserve que le lien thérapeutique soit suffisamment solide, empli de confiance et sécurisant – choisir de ne pas pacifier prématurément cette situation de crise.

Et aider la personne à trouver des manières inédites de s'ajuster.

Plutôt que recourir à son ancien schéma d’hypervigilance.


Par exemple : plutôt que se raidir, se recroqueviller, la thérapeute peut lui proposer de sentir ce qui se passe lorsqu'elle prend plus de place sur le fauteuil, qu'elle relève la tête, qu'elle exprime sa colère, qu'elle s'imagine poser une limite ou demander du soutien.


[Petites précisions : cette liste n'est absolument pas exhaustive et il n'y a évidemment aucun mode d'emploi, car ce qui se passe est toujours singulier, le fruit du moment présent.

Ce n'est pas non plus un processus magique, cela demande du temps, des nuances, des répétitions sous divers angles avant que des changements soient possibles.]


Mais vous voyez l'idée : c’est dans cette traversée de l’intensité, contenue par la relation, que s’ouvre la possibilité d’un ajustement nouveau, plus adapté au présent.

Ce qu’on appelle un ajustement créateur.


Bon, je vais arrêter de vous farcir la tête avec mes histoires de psychothérapie. 😉

(Je peux en parler trèèèès longtemps 😅).

Et en venir à ce qui nous occupe vraiment ici : votre roman.

Si je vous raconte tout cela, c'est parce qu'il me semble qu'il est intéressant d'utiliser ces concepts pour construire votre climax.

Ce point d'acmé dont je vous ai parlé la semaine dernière dans Le Lab.

Dans un récit, le climax constitue typiquement une situation d’urgence aiguë à haute intensité.

Parce qu'il met en scène LA confrontation ultime, redoutée par votre personnage.

Le face-à-face avec l’antagoniste.

Un moment idéal pour que les vieux schémas refassent surface.


Mais, vous n'allez pas vous arrêter là.

Car le protagoniste n’arrive pas dans cette scène identique à celui qu'il était à la première page.

Il a traversé des épreuves.

Il en a tiré des leçons.

Il s’est appuyé sur des personnages agonistes.

Fort de ces expériences, il devient capable, pour la première fois, de faire différemment.

Comme en thérapie, ce moment de crise constitue l'occasion de « dépasser » le passé.

Pour trouver de nouvelles modalités, et permettre au personnage de répondre à la question dramatique centrale du récit, de manière novatrice.

Vous pouvez donc, en tant qu’auteur(e), penser un peu comme pense un(e) thérapeute.

Le conduire peu à peu jusqu'à cette situation d’urgence aiguë à haute intensité.

Le laisser traverser la crise.

Sans la pacifier trop tôt.

Et lui offrir, dans ce moment d’acmé, la possibilité d'inventer de nouveaux ajustements créateurs.

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